A propos
Hélène Manon (1896-1984) transmet dans ce livre la vision de New York qu’elle en a eue en 1942. Mais pourquoi cette Française, qui n’avait jamais traversé l’Atlantique, se trouve-t-elle habiter soudain à Central Park West ?
En voici la raison : son mari, Léon Herrmann, issu d’une vieille famille juive française, a été écarté de sa fonction de professeur d’université par le statut des juifs publié en octobre 1940 (pas de temps perdu…). Elle-même est catholique et très patriote, mais elle redoute le pire pour son mari et pour leur famille. Voyant ce dernier accablé par le chagrin, c’est elle qui prend la décision d’un départ aux États-Unis. Ce mari (Léon), par ailleurs commandant dans l’Armée française, qui apparaît dans le livre sous le prénom de Maxime, ne tardera pas d’ailleurs à rejoindre Londres et à travailler au chiffre à Carlton Garden.
Le New York de 1942 est bien différent de celui d’aujourd’hui. En dehors de son originalité littéraire, ce récit constitue aussi un document unique sur les lieux dont certains ont disparu (comme la maison où l’auteur a vécu) ou se sont modifiés (comme la Battery, passée du statut de quartier malfamé à celui de parc de luxe, et l’East River qui, d’une promenade bucolique le long de la rivière, est devenu le siège de l’ONU)…
Dans ce New York sans climatisation, effrayant d’humidité et de chaleur au mois d’août, Hélène se débat entre les trois compagnies de métro concurrentes dont aucune ne propose la moindre information sur son réseau – une situation incroyable pour les Européens exilés, et décrite aussi par Jules Romain dans “Salsette découvre l’Amérique”. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une compagnie de métro, qui consent même à fournir quelques explications à ses voyageurs.
Hélène a établi aussi un relevé des nourritures locales particulièrement attrayantes pour ceux qui arrivaient d’un pays affamé : pies, rolls, cheese cakes, corn muffins, Horn and Hardart mécanisés où des sandwiches blancs comme neige, qui n’avaient pas encore traversé l’Atlantique, répondent avec une exactitude militaire à l’appel d’un quarter…”Drop it in the slot”…
Dans cet univers nouveau, les Français exilés apparaissent fugitivement, à peine esquissés – on devine pourtant leurs obscures querelles. Un peu plus présents : Maxime, l’époux d’Hélène, et Nadia (sa presque belle-sœur) et ses belles robes Lanvin… Mais domine sur tout cela le chagrin viscéral, physiologique, d’avoir quitté la France et de s’inquiéter de son sort, de ne pas savoir si on la reverra, si elle résistera aux humiliations qui l’accablent et si elle saura protéger ceux qui y sont restés.
Claudine F. Herrmann